Réflexion
Salut, Xann au clavier.
Aujourd'hui, avec mes collègues, je parlais de Tintin (que je suis allé voir hier au cinéma, et qui est vraiment sympa pour qui aime Tintin). Un des collègues disait qu'il n'aime pas trop Tintin, et il prenait pour argument le racisme latent de la plupart des histoires de Tintin.
Alors, même si je suis d'accord sur le fait que le message raciste est pas le meilleur à faire passer dans une B.D., il faut quand même remettre les choses dans leur contexte.
Tintin au Congo a été publié au début des années 30, à une époque où le colonialisme était encore largement répandu en Europe, où les Noirs américains étaient encore traités comme des sous-hommes malgré leur statut d'hommes libres, où l'Apartheid, sans être officiel, était dans les moeurs des Africains du Sud, et où le sentiment antisémite commençait à prendre son essor en Allemagne.
Du fait, Tintin au Congo peut effectivement être considéré comme raciste de nos jours, mais au moment de sa parution, il devait être dans la norme de pensée de la bourgeoisie de l'époque, dont les enfants étaient coeur de cible de l'ouvrage. Certes, Tintin au Congo n'est pas le seul ouvrage raciste de Hergé, et effectivement, les pensées ont évolué ensuite, que ce soit dans les années 1940 ou 1950.
Ceci dit, l'Algérie n'a obtenu son indépendance qu'au prix d'une guerre en 1963, les Noirs américains étaient considérés comme des sous-hommes encore dans les années 1960 (voire peut-être 1970, je ne sais pas), et l'Apartheid commençait à obtenir son cadre légal. Le racisme n'est vraiment décrié par la société en général que depuis vingt ou trente ans, tout au plus.
Après avoir écouté mon argumentaire, il m'a rétorqué que même si j'avais probablement raison, il n'empêchait que c'est à l'aune de nos valeurs actuelles qu'un ouvrage doit être mesuré.
Il a même évoqué un procès intenté à Hergé ou ses publieurs par rapport, justement, au message raciste véhiculé par certains volumes des aventures de Tintin (notamment "Tintin au congo"). Si ce procès aboutit, selon lui, les volumes en question pourraient être retirés de la vente.
A ce moment-là, de mon point de vue, le débat a changé profondément d'optique. On ne parlait plus du racisme latent de Tintin et de sa légitimité ou pas en tant qu'argument à l'encontre de la lecture de ses aventures, mais de liberté d'expression.
On parlait là de museler un artiste sous prétexte que ses écrits étaient potentiellement offensants, ou insultants, pour une certaine partie de la population. Même pas nécessairement majoritaire, simplement existante. Et mon collègue était d'accord, évoquant le fait qu'un ouvrage potentiellement offensant devait être retiré de la vente. Soit disant parce que "c'est mal" d'être raciste. Que ce genre de textes "n'apporte rien", est juste "une insulte potentielle pour le lecteur".
Ce discours, je doit bien l'avouer, m'a profondément déplu. Partant de ce jugement de valeurs complètement unilatéral, on pourrait ainsi, en prenant le point de vue de divers groupes tous plus susceptibles les uns que les autres, interdire à peu près tous les livres, et, pourquoi pas, recommencer les autodafés.
Mais non, je suis un extrémiste. Lui est "modéré", il ne veut pas tout interdire, mais il estime que tout autoriser au nom de la liberté d'expression est une autre forme d'extrémisme. Que c'est la porte ouverte à l'autorisation libre aux gens de venir t'insulter chez toi sans que tu puisses rien y faire.
Notre troisième collègue, dans le bureau, est plus modérée. Elle pense, comme moi, qu'on ne devrait pas interdire la vente de livres selon les idées qu'ils véhiculent, dans la mesure où personne n'oblige à les acheter ou même les lire. D'un autre côté, elle estime qu'effectivement, le problème de Tintin, c'est que c'est destiné à des enfants. Un public qui, typiquement, ne saura pas remettre les choses dans leur contexte. Un public qui n'a pas la capacité de recul nécessaire pour comprendre que les idées exprimées dans un livre ne sont pas nécessairement bonnes à suivre, et qu'un héros de B.D. n'est pas forcément le role-model à avoir pour être un jeune homme ou une jeune fille bien comme il faut.
Admettre qu'elle n'a pas tort me fait mettre de l'eau dans mon vin. Mais j'estime, personnellement, que c'est aux parents que revient le rôle de surveiller les lectures de leurs enfants, ou de leur mettre les choses en perspectives pour leur faire comprendre la différence entre réalité et fiction.
En tous cas, je refuse tout net qu'un écrit quelconque soit interdit. Chacun a droit de penser ce que bon lui semble, y compris ce qui, moi, me fait horreur. Les gens ont parfaitement le droit de penser que, parce que je suis bi de peau, je ne vaut guère plus qu'un macaque, et ils ont parfaitement le droit de l'écrire. J'ai, quant à moi, toute lattitude pour estimer qu'ils se trompent et l'exprimer moi-même.
Que deviendrait le monde si on ne laissait filtrer que ce qui est "politiquement correct" ? Le monde serait formaté selon les voeux de ceux qui choisissent ce qui passe, et ce qui ne passe pas.
Et ces gens-là, qui nous dit qu'ils pensent "comme il faut" ? Pourquoi leur opinion aurait-elle plus de valeur que la mienne ? Au nom de quoi se permettent-ils de juger les avis de leurs pairs ?
En somme, pour moi, cautionner l'interdiction de parution de certains ouvrages est un pas vers la pensée unique. Et j'y suis profondément opposé. C'est la diversité des opinions qui génère de la créativité, qui permet au monde d'être ce qu'il est. Qui voudrait d'un monde où Big Brother règne ? Qui serait heureux qu'on pense à sa place ? Qui voudrait, en son âme et conscience, donner son droit de se forger une opinion à autrui ?
1984 comme Farenheit 541 explorent tous les deux ce thème : la lecture favorise la pensée. Si on nous fournit de la réflexion prémachée, comme la TV et la radio le font si bien, comment peut-on espérer avoir de nouvelles idées qui émergent ?
Et vous, vous en pensez quoi ?